Alain Mérot Du Paysage De La Peinture

POUSSIN ET LA NOTION DE NATURE

Poussin et la nature: sujet redoutable et qu'il semble risible de vouloir ne serait-ce qu'effleu¬ rer en quelques pages. On pense, bien sûr, aux nom¬ breux tableaux de paysage laissés par le peintre, qui ont été très tôt érigés en modèles du genre. Mais l'on doit plus largement prendre en compte l'ensemble d'une démarche créatrice. Il n'y a en effet pas de paysage "pur" dans l'œuvre de notre peintre : toutes ses représentations de la nature comportent des figures, des histoires ou des amorces d'histoires (même si leurs sujets demeurent en grande partie obscurs). Il semble qu'on Tait vite oublié. En 1699, Roger de Piles pouvait écrire dans son Abrégé de la vie des peintres cette appréciation certes louangeuse, mais surtout technique, sur un artiste qu'il ne trou¬ vait pas assez "coloriste" à son goût :

Ses paysages sont admirables par les sites, par la nou¬ veauté des objets qui les composent, par la vérité des terrasses, par la variété des arbres et la légèreté de leurs touches et enfin par la singularité des sujets qu'il y fait entrer. De sorte qu'il les aurait rendus parfaits s'il les avait un peu plus fortifié par les couleurs locales et par l'artifice du clair-obscur.

Pourtant, dès le début, le tableau de paysage ne fut pas, pour Poussin, une imitation agréable des objets visibles, mais plutôt, grâce justement à la "singularité des sujets", une méditation sur la place de l'homme dans l'univers, sur les liens qu'il entre¬ tient avec un lieu et des forces précis. En ce sens, toute œuvre de Poussin est une allégorie. Dans la tradition emblématique du XVIe siècle continuée au XVIIe, la Nature était symbolisée par une divinité : Pan, mi-homme, mi-bête pour Alciat ; Isis ou Diane d'Ephèse aux nombreuses mamelles selon Otto Venius et Cartari -d'après Macrobe ; Cérès, selon Valeriano, qui emploie aussi les "hiéroglyphes" du vautour, du pin ou de la lune... Mais les tableaux de Poussin se présentent comme autant d'inventions

complexes, d'étapes d'une longue réflexion qui évo¬ lue avec le temps. Des œuvres comme Diogène jetant son écuelle ou les Quatre Saisons offrent non une personnification mais une élaboration poétique de la nature : on parlera plus tard de paysage "histo¬ rique" ou "composé", ou encore "idéal". Ces termes, consacrés par l'histoire de l'art, ne rendent pas justi¬ ce à la richesse de sa pensée. Ils ne révèlent pas les liens de Poussin avec la culture -littéraire, philoso¬ phique, religieuse, voire politique -de son temps et surtout ne montrent pas de quelle façon il se l'appro¬ prie.

D'où la tentation, souvent, de sur-interpré-ter ces toiles d'un accès difficile, voire hermétique. Où s'arrêter dans leur "lecture" ? Le rapprochement avec des textes, si ingénieux soit-il, ne suffit pas à les apprécier et peut même induire l'historien de l'art en erreur. Il faut pourtant regarder ces tableaux en ayant toujours à l'esprit cet arrière-plan. L'intelligence, la sensibilité et l'exigence du peintre permettent de mieux comprendre ce que les hommes du XVIIe siècle entendaient par "nature". Peindre un paysage, pour Poussin, plus encore que pour certains de ses illustres contemporains comme Annibai Carrache ou Claude Lorrain, ce n'est pas se conten¬ ter de reproduire une nature simplement vue ou même vécue (la Normandie des origines, puis Rome, la patrie d'élection(,)) : c'est nous la restituer transformée selon certains modes ou modèles, per¬

ii) Sur ces deux patries de Poussin, voir A. Mérot, "Des patries à la terre : pour un portrait / paysage de Nicolas Poussin", dans Et in Arcadia Ego, Actes du XXVIIe congrès de la North American Society for XVIIth. Century French Literature, Montréal, 1995 (édités en 1996 par Antoine Soare, dans la collection "Biblio 17" . Papers on French Seventeenth Century Literature, Paris, Seattle et Tübingen, 1996, p. 25-37.

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Alain Mérot Du Paysage De La Peinture

Source: https://www.persee.fr/doc/lefab_0996-6560_2005_num_16_1_1107

Posted by: greeruposed.blogspot.com

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